La machine de Turing : histoire tourmentée d’un génie
Peut-on créer une machine qui pense ? Jusqu’où peut-on détenir un immense secret ? Quelles sont les limites de l’imagination ? Ce sont les questions que nous inspire la vie d’Alan Turing, ce génie longtemps laissé sur bancs des oubliés. Dans La Machine de Turing (4 Molières en 2019), Benoit Solès nous invite dans l’intimité du cryptologue torturé.
Décrypter Enigma
On se souvient, en 2015, du film Imitation Game. On y découvrait le parcours scientifique de ce Einstein des temps modernes, recruté pour décoder la machine de cryptage allemande Enigma, en pleine guerre mondiale. Le film nous dévoilait assez peu de la vie personnelle d’Alan Turing. C’est chose faite avec l’oeuvre de Benoit Solès : elle croise l’apparence insubmersible d’un scientifique hors norme aux faiblesses d’un homme confronté à ses propres désirs. On y découvre aussi un grand enfant, marqué par la projection du film Blanche neige et les sept nains, dans les années 40. Ce film dont il n’arrête pas de parler tout au long de la pièce, notamment au commissaire de police avec qui il liera une puissante amitié.
Pomme au cyanure
Condamné pour homosexualité, Alan Turing choisit la castration chimique pour en pas aller en prison. Quelques années plus tard, il se suicide en croquant dans une pomme au cyanure (coïncidence ?). Génie oublié, homosexuel rejeté par la justice britannique, c’est d’un destin tragique aujourd’hui impensable en Europe. La pièce de Benoît Solès retrace le parcours d’un homme différent. C’est aussi l’histoire d’un savant un peu fou, souvent incompris, légèrement associal. Celle d’un homme qui aimait les hommes jusqu’à en mourir. C’est enfin l’histoire de celui qui a inspiré les plus grands pour créer ce dont on ne se passerait plus aujourd’hui : les ordinateurs.
Du cinéma au théâtre
La mise en scène de Tristan Petitgirard a tout de celle d’un film : une musique originale, un écran dont les décors évoluent selon qu’on soit dans l’appartement de Turing ou en plein coeur d’Enigma. C’est peut-être cette touche d’originalité qui a fait de Tristan Petitgirard le metteur en scène moliérisé de l’année. C’est un peu comme du cinéma au théâtre : fluide, musical, rythmé. Notons aussi bien évidemment l’excellent jeu des deux comédiens sur les planches : Benoît Solès et Amaury de Crayencourt. La Machine de Turing mérite bien ses 4 Molières.