La Place d’Annie Ernaux, mis en scène par Hugo Roux
La Place est un des romans clefs dans l’écriture d’Annie Ernaux. Sorti en 1983, l’auteure y évoque la modeste ascension sociale de ses parents et débute alors son processus autobiographique. La mise en scène d’Hugo Roux est simple et équilibrée, l’interprétation de Lauriane Mitchell est juste.
Trouver sa place
« J’ai glissé dans cette moitié du monde pour laquelle l’autre est un décor » écrit Annie Ernaux pour décrire son transfuge de classe. Celle qui a une famille « modeste » ne sait plus dans quel monde elle appartient vraiment. Est-ce celui de son père, qui ne veut pas entendre parler de livres, n’a jamais mis les pieds dans un musée et peine à orthographier ses mots ? Est-ce celui de ses camarades de SciencePo, fils et filles d’une bourgeoisie lettrée, bien loin des préoccupations du quotidien des familles ouvrières. Avec son père, elle ressent ce qu’elle appelle « une distance de classe, comme un amour séparé« .
Il ne comprend pas qu’elle ne travaille pas à 17 ans dans son épicerie ou son café. Elle n’entend pas que que seule lecture soit Paris-Normandie tandis qu’elle dévore Marcel Proust. Le texte décrit avec finesse et réalisme la rupture entre deux mondes que tout oppose, au gré d’une relation père-fille qui risque d’être entachée par la honte sociale. Le père a peur de passer pour un riche, la fille redoute le jugement sur le monde trop simple qui l’a vu grandir. Difficile pour l’un et pour l’autre de trouver sa place.
Une esthétique du rien
La mise en scène d’Hugo Roux est simple : une comédienne (la prodigieuse Laurianne Mitchel) interprète le texte sans fioritures, jonglant avec les personnages au milieu d’un tas de valises. Le metteur en scène, attaché à la décentralisation du théâtre, a souhaité pouvoir le jouer dans des cafés ou dans de EHPAD. Le décor minimaliste dégage « une esthétique du rien » laissant toute sa place au texte (qui n’avait pas été écrit pour être joué sur une scène de théâtre).
Dans ces bagages et au fil du texte, des objets font remonter les souvenirs du passé. Ils évoquent peut-être le bagage familial que l’on emporte avec soi. Chaque objet est imprégné d’une histoire que Lauriane Mitchell nous raconte sans dénaturer le texte d’Annie Ernaux. Du papier journal, une vieille boite de photo, un article dans le portefeuille du père… Celui qui annonce l’admission de sa fille à son concours. Il y a un sentiment qui dépasse toutes classes sociales : la fierté d’un père.
C’est un texte fort et fondateur de l’écriture d’Annie Ernaux, mis en scène et interprété avec beaucoup de délicatesse.
La place d’Annie Ernaux mis en scène par Hugo Roux
Au Théâtre de Belleville jusqu’au 29 avril